Romain Bertrand invite à questionner la manière dont la puissance narrative du langage enrichit nos savoirs et accroît notre attention à la pluralité du monde.
Les mots nous manquent pour dire le plus banal des paysages. Vite à court de phrases, nous sommes incapables de faire le portrait d’une orée. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Au temps de Goethe et de Humboldt, le rêve d’une « histoire naturelle » attentive à tous les êtres, sans restriction ni distinction aucune, s’autorisait des forces combinées de la science et de la littérature pour élever la « peinture de paysage » au rang d’un savoir crucial.
La galaxie et le lichen, l’enfant et le papillon voisinaient alors en paix dans un même récit. Ce n’est pas que l’homme comptait peu : c’est que tout comptait infiniment. Dans les œuvres des grands naturalistes des XVIIIe et XIXe siècles, comme encore chez quelques poètes du siècle dernier, se donne à entendre le chant, aussi tenace que ténu, d’un très ancien savoir sur le monde : un savoir qui répertorie les êtres par concordances de teintes et de textures, compose avec leurs lueurs des dictionnaires éphémères, s’abîme dans le spectacle de leurs métamorphoses.
« Tout parle dans l’univers ; il n’est rien qui n’ait son langage », écrivait Jean de la Fontaine. Comment, dès lors, accueillir le phrasé du paysage dans nos propres récits ?